2016 - À l’occasion de la 2ème édition d’Estuaire, Ange Leccia venait installer dans la ville de naissance de Jacques Demy l’image surnaturelle d’une icône de la mode et du cinéma, Laetitia Casta. En jouant des effets éclatants de l’image sur l’élément aquatique, il revenait à l’essence même de la vidéo : la projection de lumière. Le temps de la prise de vue y rejoint le temps de l’eau qui passe.
Nymphea est sous l’eau comme tout ce que va chercher Ange Leccia est sous lui, en lui. Cette quête, ce voyage à l’intérieur de soi, c’est le programme de «La mer allée avec le soleil». Une exposition introspective.
45 ans après sa résidence à la Villa Médicis à Rome, Ange Leccia entend récapituler, regarder qui il est. «Aller piocher dans des archives, c’est redonner vie à quelque chose qu’on croit figé» nous dit il. De la même manière que le déplacement contextuel donne son sens au ready-made, le temps donne une autre lecture aux images. Quête impossible que de suspendre le temps, à laquelle pourtant Ange Leccia s’attelle, à l’image des derniers mots prononcés dans Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard, tirés de ce quatrain d’Arthur Rimbaud :
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Le visiteur est d’abord invité à regarder l’artiste qui se scrute : 5 autoportraits filmés à différentes époques l’accueillent, comme pour faire connaissance.
Ce n’est qu’après cette rencontre physique que le visiteur pénètre véritablement les méandres intérieurs de l’artiste. Quatre grands écrans qui semblent n’en former qu’un épousent délicatement l’architecture du lieu, accompagnent les perspectives et les déplacements du public. En quatre montages, en écho les uns aux autres, réalisés spécialement pour l’exposition, c’est une plongée dans 45 années de pratique. On y trouve toutes les figures qui font la singularité et la beauté du travail d’Ange Leccia.
L’omniprésence de l’eau, des images comme des souvenirs de sa jeunesse corse. La boucle dont l’usage permet d’engendrer des sens nouveaux à la même image. Les explosions, tempêtes, orages et déferlantes qui illustrent la sensibilité à fleur de peau de l’artiste, sa tension extrême. Les images télévisuelles retravaillées où un match de foot devient un champ de bataille, dans lesquelles la gravité intérieure rejoint la gravité du monde. En contraste revient sans cesse la beauté du monde naturel, le vent dans les arbres, les éclats du soleil sur l’eau. Les jeunes filles, figures de l’adolescence, dont les visages empreints de gravité témoignent de leur prise de conscience du poids de leur vie future. L’adolescence comme l’état de création artistique où tous les possibles sont devant soi mais où l’on se sent perdu face à l’inconnu. La pop music, les tubes que tout le monde connaît et qui souvent collent au souvenir d’un fort sentiment ressenti au moment d’une rencontre amoureuse, d’une séparation, de retrouvailles, d’une disparition.
Enfin, c’est évidemment la Mer qui clôt l’exposition. Ou plutôt 3 Mer, l’une filmée en super 8, l’autre en DV cam, la dernière en HD. Car la pratique d’Ange Leccia est aussi un voyage dans l’histoire de la captation vidéo. Ange Leccia construit son œuvre avec ce qu’il a de plus proche. Ici, c’est physiquement que cette mer est proche de lui. Pourtant distante de quelques kilomètres seulement de son village de naissance, il a mis des années à voir la mer s’étaler les jours de tempête sur la plage noire de Nonza. Depuis ce moment, c’est pourvu de moyens technologiques différents qu’il y retourne régulièrement. De la même manière que chaque vague est unique, chaque qualité d’image raconte une histoire différente.
La sensibilité aux choses volatiles, aux sensations et sentiments qui apparaissent et disparaissent, c’est l’être au monde d’Ange Leccia.